LA GUERISON DU CROUP
Les élèves de M. Pasteur viennent de réaliser une découverte aussi grandiose que celles de leur maître, et d’ajouter un impérissable fleuron à la couronne de gloire de la science française.
Au congrès de Buda-Pesth le docteur Roux a informé les médecins de tous les pays qu’aidé de ses collaborateurs MM. Martin et Chaillou il avait réussi, par l’emploi d’un sérum tiré du sang de chevaux immunisés contre la diphtérie, à abaisser dans une si large proportion la mortalité des enfants atteints du croup, que cette maladie, jusque là réputée sans ressource, pouvait être considérée comme vaincue.
Le nom du docteur Roux était déjà populaire. On sait qu’il désigne le jeune médecin qui fut adjoint à M. Pasteur lorsque les études de ce dernier l’amenèrent à la découverte du vaccin antirabique et à la nécessité d’administrer à ses semblables des remèdes pour les sauver. M. Pasteur a négligé de solliciter de la Faculté de médecine l’obtention de ses grades, et de par la loi il lui eût été interdit de vacciner les victimes des chiens enragés sans l’assistance d’un docteur prenant à sa charge la responsabilité des opérations. Notre législation a de ces inconséquences.
Le coadjuteur du grand savant se trouva être un intrépide travailleur qui s’adonna corps et âme à l’application des doctrines du maître, et qui en tira de remarquables conséquences, dont la plus admirable est sans contredit celle qui fait l’objet de la communication au Congrès de Buda-Pesth.
Voici le desideratum que M. Roux, au nom de la section française, a formulé au Congrès :
« Conseiller aux mères de famille d’examiner la gorge de leurs enfants, dès que ceux-ci manifestent un malaise même léger. Si la muqueuse présente trace de points blancs disséminés à sa surface, elles devront, sans aucun retard, en référer au médecin. »
Les taches blanches peuvent être l’indice d’une angine simple, elles peuvent être aussi le premier symptôme du croup.
Dans les deux cas, le médecin devra faire une injection sous-cutanée de sérum anti-diphtérique. S’il se trouve en présence d’une angine simple, son remède n’occasionnera aucune complication à l’état du malade ; s’il a affaire à la diphtérie, il l’enrayera d’une façon certaine.
Les statistiques recueillies à l’hôpital des Enfants-Malades établissent que depuis l’emploi du sérum dans les cas de diphtérie sans complication d’autres maladies concomitantes ou subséquentes, la moyenne de la mortalité s’est abaissée de 41 % à 1.7%.
Dans la statistique générale, la moyenne n’est descendue qu’à 24.5% au lieu de 60%. Mais il convient de s’expliquer tout de suite sur ce chiffre de 24%, qui semble encore bien terrifiant, à première vue et qui pourrait faire douter de l’étendue de la découverte.
La plupart du temps, la diphtérie ne tue pas, comme on le croit vulgairement, par asphyxie. Les fausses membranes qui se développent dans l’arrière-gorge arrivent rarement à obstruer totalement le canal respiratoire, et même alors, la trachéotomie sauverait infailliblement le patient. Mais le microbe diphtérique, qui pullule sur les fausses membranes, sécrète un poison qui, plus ou moins vite, suivant la virulence des attaques, contamine le sang. C’est précisément le docteur Roux et son élève Yersin qui ont découvert les premiers cette toxine et prouvé que les diphtériques mouraient empoisonnés.
L’injection du sérum antidiphtérique confère l’immunité immédiate, mais n’agit comme contrepoison qu’au bout de quelques heures. Si donc les ravages de la toxine sont trop avancés, et c’est le cas assez général pour les petits malades amenés à l’hôpital en désespoir de cause, abandonnés du médecin traitant, le remède est souvent administré en pure perte. D’autre part, le sérum n’a pas le pouvoir de guérir les autres maladies que le patient peut avoir concurremment avec la diphtérie : la rougeole, broncho-pneumonie, etc.Or, dans les 24.5% de décès constatés aux Enfants-Malades, le plus grand nombre proviennent d’un traitement trop tardif ou d’affections autres que le croup.
Comment s’administre l’injection ?
Au moyen de la seringue dont nos gravures donnent le fac-similé et qui contient 20 centilitres de sérum extrait du sang de cheval.
Les nombreuses expériences faites au laboratoire de la rue Dutot ont démontré que tous les animaux capables de fournir de grandes quantités de sérum antidiphtérique, les chevaux étaient les plus faciles à immuniser. Ils supportent la toxine beaucoup mieux que les chiens, les chèvres ou les ruminants. De plus, rien n’est aisé comme de tirer de la jugulaire d’un cheval, aussi souvent que l’on veut, et avec pureté, de fortes quantités de sang d’où se sépare un sérum d’une limpidité parfaite. Les opérateurs de l’Institut Pasteur ont des chevaux dans la jugulaire desquels ils ont puisé plus de vingt fois, au moyen d’un trocart de gros calibre, et le vaisseau est resté aussi souple et aussi perméable qu’au premier jour.
Le cheval est donc l’animal de choix pour la préparation du remède. Les bêtes qui servent actuellement à cet usage sont des chevaux de fiacre encore jeunes, se nourrissant bien, n’ayant aucune lésion des organes internes, surtout des reins, mais rendus impropres à un service actif par des tares aux membres. On les saigne une fois par mois et leur retire, à chaque opération, quatre litres de sang susceptibles de fournir deux litres de sérum. Rassurons les âmes sensibles en leur déclarant que cette saignée n’est pas douloureuse, et qu’à condition de ne pas dépasser les quantités précitées, l’animal n’est pas trop affaibli.
Toutefois, le traitement du croup exigeant 50 centilitres de sérum, on voit que l’Institut Pasteur sera obligé de posséder toute une petite cavalerie, quand il s’agira de fournir le médicament à tous ceux qui pourront en avoir besoin.
On remarque que la seringue est terminée par une aiguille de deux centimètres de long qui s’introduit sous la peau, au flanc du malade.
Il est bon que ce soit un médecin qui fasse le nécessaire, car la pointe de l’aiguille mal dirigée pourrait blesser quelque partie essentielle du corps ou ne pas traverser complètement le derme. Mais l’opération est si simple qu’en cas de nécessité n’importe qui pourrait la tenter. Le liquide forme sous la peau une boursouflure de la grosseur d’une noix, laquelle se résorbe en moins de dix minutes. Il n’y a pas d’autre douleur que la sensation de la piqûre.
Quant au sérum, on a constaté qu’il s’était conservé un an intact, pourvu qu’il fût à l’abri de la lumière. Très probablement, sa conservation peut être beaucoup plus longue. L’expérience le démontrera. Chacun peut donc en avoir chez soi et, en tout cas, les pharmaciens et les médecins devront en avoir en réserve.
Voilà par quels procédés la vie de plusieurs milliers d’enfants pourra, chaque année, être sauvée, grâce à une application nouvelle des principes pastoriens.
Malheureusement, il reste à constituer la réserve de sérum. Coûteux à préparer, le remède ne pourrait être distribué à tous, si les riches ne consentaient à payer pour les pauvres. Le Figaro a déjà pris l’initiative d’une souscription destinée à fournir au laboratoire de la rue Dutot les premières ressources indispensables. Nous ne pouvons qu’engager nos lecteurs à contribuer à cette œuvre d’une si haute et si pratique philanthropie.
Guy Tomel.